Vous avez dit « culture » ?

Publié le par Marc Wluczka

Ça se passe à Marseille et il est déjà tard. On est dans une grande salle pas très bien éclairée, c’est la fin d’une journée où il s’est passé beaucoup de choses. Et puis, là haut, dans une autre salle il y a une belle affiche. On n’est donc pas nombreux à vouloir quand même parler culture mais qu’importe, il se passera forcément quelque chose.
Et il se passe en effet quelque chose quand à la Tribune, apparaît Bégaudeau (François), le héros d’ « Entre les murs », qui vient nous présenter un film documentaire sur des jeunes réalisé par le collectif Otto (ou Othon, ou Otons, je ne sais plus)
Les héros du film partent bien mal dans la vie puisqu’ils sont… jeunes – déjà en soit pas terrible – mais aussi militants (et là on a déjà peur qu’ils ressemblent à certains MJS) et enfin sarkozystes. Ce dernier mot, on peine à le prononcer, et visiblement il inciterait les membres du collectif précité et M. Bégaudeau (François) à aller immédiatement se rincer la bouche à l’eau de Botot. On nous prévient : ça devait durer 1h50 mais, qu’est ce que vous voulez, on a du se faire violence, ça a été dur, autant que vous le sachiez, ça nous a déchiré, mais comme on sait que vous manquez de temps, alors on vous l’a réduit à 1H05. Bon. On apprécie : il est 17H30, l’atelier doit durer 2H il nous restera donc 55 minutes pour faire l’inventaire de ce que la Gauche a à dire ou à redire sur la culture, l’internet, la création, les politiques publiques, le mécénat, le rôle des collectivités locales, les droits des artistes, le régime des intermittents. Il se peut même que j’en ai oublié, mais quoiqu’il en soit on se dit que, vraiment, les organisateurs ont eu une fameuse bonne idée de nous permettre à l’avance de synthétiser notre pensée, non sans nous être imprégnés d’une vraie œuvre cinématographique.
Je suis là, et je repense à « Entre les murs ». Je n’ai pas aimé. J’en suis désolé d’autant plus, que ça s’est passé dans l’arrondissement dont je suis l’élu, qu’on a reçu les jeunes acteurs à la Mairie et qu’on s’est dit que le film donnait une bonne image du 20ème. Enfin, ceux qui n’ont pas vu le film se disent ça. Parmi ceux qui l’ont vu, certains, et singulièrement plusieurs professeurs, y ont trouvé un exercice brillement joué, avec des acteurs criants de naturel, mais joué quand même… Ils ont ressenti un malaise devant le pitch du film, la façon dont Bégaudeau se met en scène, et comment la parole qu’il porte, loin d’être pédagogique est élitiste, manipulatrice et par moment franchement insupportable d’autocomplaisance. Mais on s’est tu. Il fallait aimer le film d’un vrai amour et donc on a rien dit. Quand on en parlait on éludait, on rappelait factuellement que oui, ça avait bien été tourné chez nous, que les jeunes acteurs étaient géniaux, et on glissait sur Bégaudeau, et sur le message qu’il instillait et qu’on n’aimait pas.
Difficile aussi de se mette à distance par rapport à une œuvre formellement intéressante mais dont le message de fond vous hérisse. Difficile de reconnaître que ce film « de Gauche » ne vous a pas semblé de Gauche, justement, et que travailler dans un quartier difficile n’est pas compatible avec un rôle de Zorro narcissique, surtout qui plus est, quand au final il échoue sur toute la ligne.
La projection commence. Ca ne raconte pas une histoire mais il y a quand même des figurants : une dizaine de jeunes de 20 à 25 ans. Ils militent chez les jeunes populaires à Nantes et à Paris et ils ont répondu à une annonce. Ils sont volontaires, ils savent que le groupe Otto (ou Othon, allez savoir) est composé de gens de Gauche qui veulent les interroger sur leurs motivations politiques. On en verra un à la fin qui se déclarera très satisfait du film et Otto attirera notre attention sur le fait que un/ ils ont été tous satisfaits et que deux/ on leur a donné encore trois minutes pour s’exprimer mais qu’aucun n’a pu dépasser vingt secondes tout seul face caméra. Mais j’anticipe.

Engagés et à Droite, ils en parlent. Mal. Très mal. Ils sont confus, ils se contredisent, leur discours est invertébré et n’a aucune charpente politique. On y entend des mots clés comme mérite, travail, nation. Personne ne sait comment Otto-Othon a fait le montage, mais en tout cas ils ne savent pas parler, ou alors peu, même si un ou deux sont plus structurés. L’interviewer les massacre. Ce n’est pas une interview c’est une entreprise de ridiculisation. Un jeune d’origine iranienne est très marqué par l’idée de Nation. Forcément, il parle de lui. De son rapport particulier avec la France et comment en tant que jeune d’origine étrangère il s’est construit. L’Othon qui l’interviewe fait mine de ne pas le comprendre et se lance dans un long développement sur le concept de nation et sur l’impossibilité d’y adhérer quand le pays où vous vivez vous discrimine. Le jeune sait bien que c’est vrai. Il pourrait dire que certains ont fait l’effort de ne pas se décourager et de se battre. Il ne le dit pas. Parce qu’il est jeune, parce qu’il est intimidé et parce qu’il a en face de lui un adulte dont le discours politique est bien rodé. Alors il bafouille un peu et s’emmêle.
La scène est supposée faire rire à ses dépens, et elle y arrive : non mais vous vous rendez compte, c’est travail-famille-patrie, ils n’ont que ça comme concept. Clin d’œil vers le public. Je ris jaune et je ressens le même malaise qu’en voyant « Entre les murs ». Spontanément, comme ça, je me sens proche de ce jeune, son adhésion à notre Nation me bouleverse, elle me parle au-delà sa maladresse et j‘exècre ce groupe Otto qui la tourne en dérision bien à l’abri derrière sa rhétorique huilée.

Il y a aussi deux jeunes femmes. L’une s’exprime mal, elle est inhibée et son discours est filandreux, de moins en moins audible, elle s’enferre toute seule et on ne comprend rien à ses propos décousus. Là, on la laisse parler, on ne la recadre pas, on ne la sollicite pas, on la regarde couler lentement mais surement et plus tard, on dira que c’est par « respect » que l’on s’est effacé devant elle.
Bégaudeau est de tous le plus insupportable : il pose des questions piège, il retourne comme un crêpe les arguments qu’on lui oppose. Sa voix est assurée et son ton impose le silence. On l’écoute. Il professe, docte et sur de lui. il assène ce qui ressemble à un argumentaire militant d’une façon légèrement agacée, comme si - non mais vraiment ! – ils sont tellement nuls que faut vraiment tout leur expliquer de la vie, je vous jure.
Plus tard, Bégaudeau expliquera qu’il a voulu monter ce qu’était la « France de demain » version Sarkozy. Il dira aussi, que c’est un travail « collectif », il insistera bien la dessus, que justement ce qui nous différencie, nous la Gauche de eux la Droite, c’est le caractère individualiste de leur comportement, leur absence d’empathie pour leurs semblables et leur foi inébranlable dans la réussite individuelle. C’est beau comme une allocution de Castro et tout aussi convaincant, quand on a envie d’être convaincu, cela va sans dire.
Après ses soixante cinq minutes de film, il y a encore les explications de Bégaudeau et de la représentante de Otto-Othon. On est rendu à soixante quinze et Patrick Bloche, flegmatique, se prépare à parler. Des questions ? Ah oui, il y en a.
Certains ont aimé, vraiment ça les a conforté dans l’idée qu’ils se font de la Droite et ils sont reconnaissant aux cinéastes d’avoir osé faire ce film. Quelques uns expriment des réserves, certains passages les ont gênés, mais bon, c’est quand même bien l’idée qu’ils se font de la Droite, ils sont contents d’en avoir la preuve : on voit clairement ce qui « les » différencie de « nous ».
Le temps passe. J’ai envie de dire que je me reconnais pas dans ce film et dans le miroir qu’il tend parce qu’ne fait, c’est un miroir qui nous est tendu à NOUS, et c’est bien ça le problème. Ce que je vois au-delà de ces jeunes c’est cette partie de la gauche qui au profond de moi m’insupporte : intolérante, doctrinaire, sans mémoire, donneuse de leçons, dépourvue d’éthique, incapable de se remettre en cause et préférant se complaire dans une représentation caricaturale de l’adversaire. Sans même se rendre compte qu’elle se caricature elle-même.
J’ai envie de dire à Bégaudeau, parce qu’il est là, célèbre, « famous », pipolisé à sa manière, que primo je connais des militants de l’UMP qui ne feraient qu’une bouchée de jeunes socialistes si on les mettait dans la même situation et que ça ne prouverait rien non plus. Que secundo je ne compte pas abandonner comme ça le mérite, le travail, le respect et même la nation, parce que ce sont aussi mes valeurs. Qu’en faisant ce film Otto-Othon, non seulement n’a pas fait œuvre utile, mais a donné à fond dans le contre-productif, en faisant croire que l’autre camp c’est ça, rien que ça, et que finalement à quoi bon réfléchir, à quoi bon se remettre en cause, puisqu’on a que « ça » à nous opposer.
L’heure à tourné et j’ai la parole. Je me présente et dis qui je suis et d’où je viens. Je commence à parler à Bégaudeau de mon malaise. Il m’interrompt tout de suite avec le micro, verbe haut, et, jouant les offusqués, me rappelle que c’est un collectif qui a fait ça. Il insiste bien sur le mot collectif en espérant que la magie de ce mot va forcément lui rallier les supposés collectivistes présents. Je tente de reprendre le fil et il me jette que si on veut discuter avec lui, eh bien on se retrouvera tout à l’heure, vu que là, ben, tu comprends, mais il y a plus le temps ! Ca fait quatre vingt dix minutes qu’on cause du film et l’ordre du jour n‘a même pas été abordé. Je me rassies.
Aurélie Filipetti – qui préside mais est arrivée en retard - croit judicieux de dire que ce qu’on vient de voir est une « œuvre d’art » qui en tant que telle mérite notre attention d’autant plus que c’est un collectif qui l’a créée.
A la sortie plusieurs camardes viennent me voir pour me dire qu’ils ont partagé mon malaise et qu’eux aussi se sont retrouvés dans la situation de ne pas oser, à un moment, dire qu’un film forcément admirable, n’avait pas suscité leur admiration.
Bégaudeau ne viendra pas, ni à 20H ni après. Je le verrai lors de la soirée, je chercherai son regard et il fuira le mien. Au reste je ne vois pas ce qu’il y a à gagner à débattre en privé de ce qui mérite le débat public qu’on a esquivé.
Si ce débat public avait (eu) on aurait dit que c’est un débat sur le politiquement correct - et j’ai donc la preuve que ça existe - et on aurait pu aussi parler de l’éthique, celle des artistes, celles des militants, celle des responsables, celle de la Gauche, et accessoirement du groupe Othon mais visiblement c’était hors sujet.
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P
L'arrogance et la stupidité (car sous estimer l'adversaire est la plus stupide des fautes d'un stratège) de cette gauche-là, c'est l'arrogance et la stupidité "collective" d'une certaine classe sociologique qui a envahi et "occupé" la gauche française depuis plusieurs décennies. Elle considère les Français comme, professionnellement, elle considère les élèves des écoles ou les "usagers" des guichets : avec condescendance et paternalisme. <br /> <br /> La rénovation de la gauche institutionnelle ne sera jamais complète tant que la question de la base sociologique monocolore des PS, PC, NPA et autres n'aura pas été abordée sans tabous (j'entends déjà l'accusation de "poujadisme" venant de ceux qui ne veulent surtout pas débattre ce point).<br /> <br /> Et en attendant, Marc, il te faudra supporter en te taisant - car tu es un militant discipliné, contrairement à moi, qui n'hésite plus, depuis longtemps, à appeler "con" un con de gauche - les milliers de Bégaudeau qui tirent profit de la dégénérescence intellectuelle de la gauche : après tout, avec la gauche Bégaudeau, pas besoin de cerveau, une moelle épinière suffit.
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